samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - Lûûn

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac


Lûûn


Lûûn a dis-

paru depuis bientôt trois jours.

On ne le voit plus nulle part. Se déplacer sur

les pelotes élastiques de ses doigts. Sans bruit. Vadrouiller dans

les jardins et sauter sur

les murets de clôture et déambuler sur

les pignons et les toits. Et dédaigner les musaraignes à cause de leur odeur musquée. Et bondir sur

l’appui de fenêtre de la chambre de Djuna.

Miauler. Emettre des phéromones. Baliser un territoire. Patienter.

Et se glisser à

l’intérieur de la maison par la lucarne d’une mansarde ou le sabord d’aérage des toilettes. Et arracher, emporter et dévorer (avec fureur et détermination) les morceaux d’aile de poulet ou les couennes de lard ou de jambon que Lianja subtilise à son intention.

La compagne de Lûûn est très inquiète.

- S’il vous plaît, ne tirez pas sur le linge mis à sécher, ni sur les drapeaux à prières, ni sur les rayons qui percent les nuages !

Elle se demande si Lûûn ne s’est pas introduit dans une maison de retraite en passant par l’entrée des fournisseurs. S’il

- S’il vous plaît, ne tirez pas sur les ombres !

ne s’est pas emparé d’une tranche de rôti de porc bouilli sur le plateau d’un vieillard grabataire acariâtre et incontinent. S’il n’a pas été séquestré dans un placard à balais par une garde-malade qui n’aurait pas apprécié de recevoir un coup de patte en échange d’une caresse. Si un boucher-charcutier portant un masque vert n’a pas essayé de l’attraper par la queue et de le piquer avec une seringue usagée. S’il n’a pas trouvé refuge dans un pigeonnier ou dans l’épave d’un navire coulé lors de la seconde guerre mondiale. S’il n’a pas été écrasé par un corbillard, une ambulance et une autopompe (une voiture de patrouille, une dépanneuse, un camion de déménagement, un char de l’armée américaine ou la fourgonnette d’un vendeur de soupe) (en hiver) (ou de crème glacée) (en été) ou croqué par le pitbull au nez vert et aux yeux rouges (anxieux, couard et renfrogné) d’une voisine de palier. S’il n’a pas été happé par les pales d’un hélicoptère de la police fédérale[1] ou broyé par la chaîne d’amarrage d’un bateau de pêche à la sardine en boîte. S’il n’est pas tombé du minaret d’une mosquée ou du toit d’un parking à étages en pourchassant un hibou ou une chauve-souris. S’il n’a pas été jeté du haut de la tour du beffroi d’Ypres. S’il ne gît pas au pied d’un mur, les jambes brisées et le crâne fracassé. S’il n’a pas été victime des agissements funestes d’un monstrueux pédophile psychopathe pervers[2].

La compagne de Lûûn interroge ses voisins[3] : Lûûn leur est-il apparu ? Quand l’ont-ils vu pour la dernière fois ? Dans quel état était-il ? Chaussait-il des bottes ou des sabots (ou des baskets) ? Etait-il vêtu d’un sarrau bleu, d’un melon jaune et d’un foulard rouge (à pois ou à carreaux) ?

Dix jours plus tard Lûûn (qui porte un nom différent dans chacune des parcelles de son vaste territoire et qui, là-bas et ailleurs, se fait appeler « Ici Même », « Mwana Nsuka » ou « Tambula Malembe ») effectue un come-back inattendu.

- Ou vit-il à présent ? Et quels sont ses moyens de subsistance ? S’est-il habitué à boire l’eau des corniches ? Tient-il toujours les serpents à l’écart des habitations ? Fabrique-t-il encore de l’alcool avec des tripes de pigeon pour honorer ses dieux ? Y mélange-t-il du sang de merle pour se rendre invisible ? S’est-il trouvé une nouvelle compagne ? S’amuse-t-il à lancer des crottes de lapin de grenier ou de rat de gouttière sur les parebrises des voitures en stationnement ? Pense-t-il à prendre ses médicaments tous les soirs ?

Puis disparaît à nouveau. Pour très long-

temps…

Puis réapparaît subitement

Puis dis-

paraît encore…

Puis...

On me dit que Lûûn a déménagé. Et

sa compagne aussi. Et

qu’ils ont quitté le quartier pour toujours…



[1] Traquant les dealers de Matonge

- Besoin de quelque chose ?

qui tiennent boutique à l’angle de la rue de la Paix et du Couloir de la Mort (près du nouvel appartement de Jipéji) (et aussi près d’Inzia !) (ce qui n’arrange pas Mamène !) (ni Monique et ni Germaine !) Et qu’une rafle de la police a délogés de leur point de vente habituel. Et qui se dispersent en courant dans toutes les rues du quartier.

[2] Un empoisonneur sévirait-il dans les jardins et déposerait des assiettes de conserves avariées sur les trottoirs ? Un tueur sadique égorgerait-il les chats et les chiens ? Un paladin de la liberté, héros de la prison d’Abou Ghraïb ou de la base américaine de Guantanamo, tordrait-il le cou aux pigeons ?

- Des pigeons (soviétiques ?) (islamistes ?) d’espionnage !

Un étrangleur tendrai-il des collets sur les murets de clôture, les pignons et les toits ? Un fétichiste collectionnerait-il les rubans, les lacets, les broches et les bracelets, les médaillons, les pinces et les barrettes, les dents de lait, les mèches de cheveux blonds, les scapulaires et les fétiches de la Vierge, les boucles d’oreille et les piercings, les petits chaperons rouges, les ficelles de string et les bretelles de soutien-gorge, les clochettes et les colliers anti-puces ? Un étudiant en boucherie s’entraînerait-il à la découpe ?

[3] Et madame Alice qui, tous les jours, donne à boire et à manger aux vieux chats, aux vieilles corneilles, aux vieux pigeons (chaque volatile produisant plus de 12 kilos de fientes par an !) et aux vieux rats du quartier lorsqu’ils tiennent leurs conciliabules, sur le terre-plein aménagé au centre de la place Hendrik Conscience, en dessous de l’arbre unique. Et à tous les autres oiseaux du paradis : de la noix de coco râpée (aux mésanges), des carcasses de poulet (aux corneilles, pies et geais) des pommes de terre cuites (aux moineaux) du fromage (aux grives et aux merles).


Les contes d'apnée - le soir, à la veillée, les vieux chênes racontent

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac



Le soir, à la veillée, les vieux chênes racontent



Un petit porteur se pose à Saint-Hubert.

Il fait pres-

que nuit. La base est dé-

jà fermée. Une femme en tailleur et talons aiguilles sort

des buissons, court vers l’appareil et monte à bord, emportant avec elle deux

lourdes valises.

Pressé de repartir le pilote choisit d’emprunter la piste la plus courte.

En phase de décollage, une brusque rafale de vent déstabilise l’aéroplane[1] qui manque se retourner, retombe de quatre mètres de haut et s’é-

crase dans un champ, en bordure de la piste.

Un jeune braconnier, occupé à entretenir un feu de feuilles mortes et de bûches (et à se faire cuire des brochettes de sanglier aux fraises et aux airelles des bois sur des rayons d’une bicyclette anglaise abandonnée dans les fougères polypodes communes par une écotouriste[2]

- Une blonde qui se paie des études artistiques en dansant dans des discothèques, si vous voyez ce que je veux dire !

souffrant d’une crise de cystite aiguë[3] et

ne pouvant plus se retenir et

se plaçant une main sur le bas du ventre et

- Presque nue !

pissant à croupetons) observe

de loin, le pilote sauter à terre, débarquer rapidement les lourdes valises et tirer la passagère par le bras pour l’aider à sortir de l’habitacle. Il les voit ensuite s’enfuir en direction des buissons et des arbres. En clau-

di-

quant.

Depuis près d’une semaine les enquêteurs de l’Institut national de Statistiques, les contrôleurs des Contributions, les agents de la Sûreté de l’Etat et du Service général de renseignement et de sécurité[4] et[5] les gardes-chasses de la Région Wallonne sillonnent les chemins forestiers. Armés de sarbacanes, de gourdins de bois, de loups-flics et d’arcs à flèche. Ils fouillent toute la région environnante à la recherche du pilote et de sa passagère. Et des lourdes valises qu’ils transportaient.

Dans les clairières, à la veillée, quand ils se lâchent, les vieux chênes (squattés par les araignées, les pucerons, les chenilles, les mousses et les champignons, les coléoptères) (qui déposent des larves à l’intérieur du tronc) (les écureuils et les chauves-souris, les cigales et les fourmis, les serpents et les singes) (qui sont friands de lézards mais redoutent les varans) (les esprits de la haute futaie, les druides faméliques et les bouquets de gui, les chats sauvages et les corneilles) (qui se nourrissent de charognes) (les limaces rouges et les escargots) (qui dorment toute la journée et se promènent la nuit) (et pourrissant sur pied) racontent leur vie et

chuchotent et

rapportent et

commentent les différentes histoires qui circulent dans le quartier et

disent que :

- lors du crash de l’avion, le pilote a probablement perdu le contrôle de ses sphincters et souillé sa combinaison de vol et

disent que :

- un chasseur a vu les deux fuyards se diriger à pied vers le village fantôme de Mochamps et frapper à la porte de la cabane de la mère-grand (qui préparait des confitures de myrtilles pour le petit chaperon rouge) (aux chaussures assorties), et

disent que :

- l’homme portait une femme (elle avait retroussé son tailleur jusqu’à la taille et tenait ses talons aiguilles à la main) (on voyait ses cuisses et son string) (et même une petite touffe de poils débordant du triangle d’étoffe moite qui lui couvrait le bas-ventre) sur ses épaules et deux lourdes valises à bout de bras et

disent que :

- l’avion avait certainement été affrété par des dealers d’organes, des passeurs de clandestins[6], des employés de la société de sécurité Blackwater travaillant pour le compte de la C.I.A., des missionnaires papistes en civil, des narcotrafiquants ou des terroristes pressés et

disent que :

- les lourdes valises contenaient sans doute des explosifs et des détonateurs ! Ou des farces et des attrapes ! Ou des indulgences plénières sans écriture (le nom de pécheur mortel[7] étant laissé en blanc) ! Ou des disques compacts piratés et des westerns (ou des peplums) pornos ! Ou des pilules d’ecstasy ou des champignons hallucinogènes ! Ou le cerveau d’Ulrike Meinhof ou le coeur de Saartje Baartman ! Ou des hosties de contrebande, consacrées par un prêtre marron, réfractaire et non conventionné (sur lesquelles la TVA n’avait sûrement jamais été perçue).



[1] … ou vole-t-il trop bas et accroche-t-il une clôture ou des fils électriques… ou une horde de sangliers traverse-t-elle subitement le terrain d’aviation…

[2] En bermuda à fleurs ! Portant le casque, les gants, les coudières, les genouillères, les lunettes de soleil (ou de pluie) et la veste fluo !

[3] Et ne pouvant même pas entrer dans le hall d’un immeuble pour se soulager !

[4] Ayant en charge la protection du siège de l’OTAN et des bases militaires sur le territoire belge.

[5] et le bourgmestre et le secrétaire communal et le chanoine et le bedeau et le notaire et le clerc et… et le riche fermier du village (exploitant cinquante-cinq hectares de cultures et de pâturages) (dont dix-neuf pris en location) (et propriétaire d’au moins trente vaches laitières) et… et le directeur l’école primaire et le garde champêtre et le facteur et le boucher-charcutier et le conducteur du bus (desservant la ligne Nassogne-Ambly-Forrières-Jemelle) et… et le boulanger et le menuisier (qui fabrique aussi des sabots, des cercueils et des prie-Dieu) et… et le cordonnier et le forgeron et l’apothicaire et…

[6] Contaminés par la syphilis et l’hépatite C, la rage et le sida !

[7] Qui ça ? Manzikala ? Mais non, mais non, mais non ! Ceci est une toute autre histoire (autre temps, autre lieu, autre action) ! Et d’ailleurs, Manzikala (qui n’avait pas seulement à se faire pardonner l’enfermement de suspects dans le coffre de sa voiture) (car sans doute était-ce là le moindre de ses péchés), s’il avait vécu jusqu’à ce jour, serait déjà mort depuis longtemps, non ?


Les contes d'apnée - Je croyais avoir accroché une bordure

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac



Je croyais avoir accroché une bordure



Samedi matin, quand je me suis réveillé, mon vase de Soissons avait

- Vous n’avez pas vu ma femme ?

disparu. Elle n’était ni à l’étage, ni à

- Vous n’avez pas vu ma femme par hasard ?

l’entresol. Elle ne tricotait pas au salon (elle ne tricote jamais). Elle ne cousait pas à la cuisine (elle ne coud jamais). Elle ne lisait pas le journal dans la salle à manger (elle lit seulement la petite gazette en dernière page de la deuxième partie du Soir). Elle ne regardait pas non plus la télévision (elle déteste les journaux télévisé) (mais adore suivre les émissions culinaires sur les postes flamands, hollandais, anglais, marocains, espagnols, allemands, turcs, grecs et italiens) (et les documentaires animaliers). Elle ne prenait pas sa douche (elle préfère se laisser cuire à petit feu dans une grande casserole de fonte) (avec du vin blanc et[1] une cuillère à café de poivre et de baies). Elle n’écrivait pas son courrier (elle n’écrit presque jamais à personne).

- Et (toujours) les lettres que tu écris, tu oublies de les poster !

- Tu (quand même) pourrais faire ça en allant au boulot, non[2] ?

- Et (alors) les timbres?

- C’est (peut-être) mon problème[3] ?

Elle ne pelait pas les pommes de terre (elle trouve plus commode de les laver à la grosse brosse et de les cuire en chemise). Elle ne prenait pas son petit-déjeuner (elle n’a pas faim le matin) (et d’ailleurs elle a beaucoup de peine à sortir de ses rêves et de ses insomnies avant 11 heures).

Je l’ai cherchée partout. Sous l’édredon, en dessous du lit, dans l’armoire (cachée sous un drap blanc). Au fond de la poubelle à pédale.

- Vous n’avez pas vu ma femme ?

J’ai ouvert tous les lits et tous les placards de toutes les chambres. J’ai soulevé tous les édredons.

Je suis monté au grenier. Je suis des-

- Vous n’avez pas vu ma femme par hasard ?

cendu à la cave. J’ai to-

- Kokokoko[4] ! Y a quelqu’un ?

qué à la porte des toilettes et de la salle de bains. J’ai ou-

vert la fenêtre et j’ai regardé dans la rue. J’ai fou-

illé les sous-bois, parcouru les plages, exploré les poulaillers, sondé les puits, inspecté les anciens blockhaus de l’armée. J’ai in-

terrogé les voisins belges, allemands et canadiens, l’épicier et le boucher marocains, le pompiste pakistanais, la coiffeuse vietnamienne, la pâtissière irakienne (dont on croyait qu’elle était portugaise) (ou turque et) (qui se disait chrétienne et) (dont le linge séchait à la fenêtre et) (qui préparait dans sa cuisine

des tartes aux fraises et/ou aux bananes et/ou aux pommes et

- A commander la veille avant 18 heures ! Sonner au deuxième ! On livre à domicile ! Le lendemain soir après 18 heures !

des gâteaux du Ramadan et

des bûches de Noël

au noir).

Elle avait disparu, quoi !

Et je devais cacher sa disparition à nos enfants et à ses meilleures copines[5], continuer à aller au bureau (au bureau, au bureau, au bureau, au bureau, au bureau), donner le change, sourire comme d’habitude, m’étonner, m’indigner, m’émouvoir, som-

noler, continuer à recevoir les amis (les amis, les amis, les amis, les amis, les amis), sauvegarder les apparences.

- Elle tarde à revenir… Elle aura eu un empêchement… Je crois que je ferais mieux de m’occuper du dîner[6]

J’ai regardé dans les tiroirs, derrière les fauteuils et les rideaux, sous l’abat-jour, dans le four de la cuisinière à bois, derrière le radiateur, à l’intérieur du poêle ardennais, sous le tapis, derrière le miroir ou l’écran du téléviseur, entre les livres de la bibliothèque, sous un tas d’assiettes sales.

- Se cacherait-elle au fond d’un sac d’aspirateur, se serait-elle planquée derrière le grand crucifix (en plâtre peint) du salon, se serait-elle glissée entre les pages d’un album de photos ringardes ? Se serait-elle transformée en chauve-souris ?

Samedi matin, je me réveille. Mon vase de Soissons a disparu.

- Nous ne nous saoulerons plus ? Nous ne nous chamaillerons plus ? Nous ne nous lancerons plus de vannes ? Nous n’échangerons plus de coups ?

Je finirai par la retrouver dans un parking ou sur un terrain vague ? Ou dans les caves ou dans les combles d’un petit hôtel minable de Saint-Gilles ou d’Etterbeek après qu’un journal toutes boîtes ou une revue de cul ou un bulletin paroissial ait diffusé sa photo dans son édition hebdomadaire ? Ou au pied d’un immeuble en rénovation ?

Elle aura la nuque brisée et les poumons remplis d’eau ?

La veille au soir, mon vase de Soissons et moi-même étions-nous sortis dans les bistrots de Matonge ? Avions-nous fait la fête (chez Hono et Vieux Henri, chez Ma Betty, chez Maman Monique, chez Chantal, chez Mère Rose, chez Ambo, chez Shango, chez Jackie-la-Marraine) ? Nous étions-nous

- Tu ne me connais même pas !

disputés ? Et la soirée avait-elle

- Ça fait plus de 20 ans que tu ne me connais même pas !

été trop arrosée[7] ?

- Ça fait plus de 20 ans que tu m’attaches à un piquet ! Ça fait plus de 20 ans que tu me conserves entre les pages de tes vieux manuscrits !

Et nous étions-nous querellés avec des passants ou les voisins d’en face sur le chemin du retour ? Ou avec l’agent immobilier et usurier-prêteur du coin de la rue ?

- Notre maison n’est pas à vendre ! Allez-vous en ! Foutez-moi le camp ! Get out of our backs !

Ou un inconnu avait-il subitement traversé la rue et

- Puis-je danser avec Mademoiselle ?

avait-il embrassé ma femme sur les deux joues et avais-je

- Ma femme n’est pas à marier !

perdu le contrôle de moi-même et avais-je piqué une crise de jalousie ? Et lui avais-je maintenu longuement la tête sous l’eau et avais-je noyé mon vase de Soissons dans les étangs d’Ixelles[8] ?

Ou l’avais-je menacée avec un cutter ? Et l’avais-je frappée avec un gourdin ? Et lui avais-je fracassé le crâne ? Ou lui avais-je planté un couteau à steak dans le dos[9] ? Et gisait-elle inconsciente, étendue de tout son long, au beau milieu de la chaussée ? Et l’avais-je écrasée avec ma voiture ? Et lui étais-je passé plusieurs fois sur le corps ?

- Je ne me suis pas rendu compte de l’accident ! Je croyais avoir accroché une bordure !

Ou l’avais-je étouffée avec un coussin ? Ou étranglée avec un foulard ou mordue jusqu’à ce qu’elle devienne inconsciente ? Et lui avais-je enfoncé un journal toutes boîtes, une revue de cul, un bulletin paroissial dans la bouche pour l’empêcher de crier ? Ou un rouleau d’essuie-tout ou de papier de toilette ? Et lui avais-je recouvert la tête d’un sac en plastique plutôt que de devoir la partager avec quelqu’un d’autre ? Et était-elle tombée inanimée au

pied de l’escalier et étais-je

- Je pensais qu’elle jouait la comédie !

mon-

té me cou-

cher au grenier[10] ?

Avais-je cuvé ma bière et m’étais-je réveillé juste avant l’aube ? Avais-je essayé de maquiller le meurtre ? Avais-je transporté le corps dans un immeuble inhabité des environs et l’avais-je fait basculer par une fenêtre du troisième étage ?

- Pour faire croire à un accident !

Ne rien dire. Ne rien répéter. Abolir la mémoire. Passer l’éponge.

Supprimer les remords (tapis dans

la pénombre de la salle de bain). Effacer les disques durs.

- Décidément, elle tarde à revenir… Je crois que je ferais mieux de servir le dessert[11]

Mon vase de Soissons a disparu et je ne me souviens plus de rien.

- Mwasi aboti nzombo ? Nguma ameli mwasi ?[12]



[1] Mais ne pas ajouter de thé vert !

[2] Chaque matin (entre 7 heures 5 et 7 heures 10) quand tu vas prendre le bus 54 (monocoque) ou le bus 71 (accordéon) à la place Fernand Cocq, tu passes devant l’hôtel particulier de la Castafiore, non ? Il y a une boîte aux lettres rouge accrochée au mur, non ? A droite (en venant de la rue Maes), du côté des services administratifs de la commune (passeports et permis d’inhumer) (naissances et mariages) (cartes de riverain et attestations de prise en charge), non ? Elle a disparu ? C’est comment ? On l’a volée ? On l’a changée d’adresse ? Elle a traversé la rue ? Elle s’est installée sur le trottoir d’en face ? Elle est, à présent, adossée à une cabine téléphonique de Belgacom ? A quelques mètres de l’Amour fou ? On ne la voit presque plus ?

[3] C’est toi qui gères, non ?

[4] Kosomba, kosumba, kosuba to kosiba ?

[5] Le gang des Veuves, quoi !

[6] Oeufs sur le plat ou salade de tomates (avec sardines en boîte) ?

[7] Voilà comment cela aurait pu se passer (ces quelques explications foireuses sont à lire comme un échange de courriels : la dernière phrase venant en premier) (ce n’est pas difficile, il suffit d’avoir bu):

- Avez-vous l’intention de terminer la nuit au Beverly Hills, avec Nana, Dieudos et JeanJou ? Ou au Consul, chez Ahmed et son cousin ? Ou à Inzia, chez Monique et Germaine ? Puis-je vous prendre par la main et vous aider à traverser la chaussée de Wavre ? essayait difficilement de se rattraper un agent de l’ordre (embrouillaminé) en uniforme. Et qui n’était pas la papa de Magali.

- Ma carrière est finie ! se lamentait-il (consterné).

- Cette femme est certainement quelqu’un de très important ! avait-il (soupçonneux) vérifié notre livret de famille et nos documents d’identité.

- Elle a même été commissaire d’exposition à la Maison du Livre de Saint-Gilles ! nous avait-il (querelleur) interpellés, rue de Dublin, entre le Carrefour et l’Ekeseni, pour marche incertaine et dangereuse sur le trottoir.

[8] Ou avais-je tenté de la noyer en introduisant le pommeau de la douche dans sa bouche ?

[9] Ou lui avais-je enfoncé une fourchette dans la gorge ? Ou avais-je sorti une porte de ses gonds et l’avais-je envoyée à la tête de mon épouse ?

[10] Ou étais-je descendu me coucher au sous-sol, à côté de la chaudière et du chauffe-eau ?

[11] Fromage à tartiner ou bananes à peler ?

[12] La femme a-t-elle mis au monde un poisson ? Le boa a-t-il avalé la femme ?