samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - Il prenait toutes ses odeurs

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac


Il prenait toutes ses odeurs


(050206)


Etait-elle une dangereuse trafiquante de drogue néerlandaise ou

- Cachez-vous 12 pacsons de cocaïne, 200 grammes de haschisch et 18 boulettes d’héroïne dans votre ours en peluche ? Ou dans votre soutien-gorge noir drapeau, votre petite culotte jaune maillot ou vos bas rouges chiffon[1] ? Ou dans la nouvelle paire de bottes cuissardes fourrées que vous venez de vous acheter pour l’hiver ?

polonaise[2] ou avait-elle une poitrine particulièrement tautologique ? Ou un cul spécialement redondant ?

Etait-elle une légataire universelle japonaise ? La nièce d'un ancien truand congolais de Ndjili ou de Kingasani ? Une éminence grise du Dragon Rouge ? Une écotouriste à bicyclette[3]

- Une blonde qui se paie des études artistiques en dansant dans des discothèques ?

souffrant d’une crise de cystite aiguë et

- Presque nue ?

ne pouvant plus se retenir ? Une ethnologue bretonne sévissant en Papouasie occidentale ? La présentatrice-vedette du journal de 19 heures d’une station de télévision colombienne ou espagnole ? Une

- Etes-vous Grande-Duchesse de Gerolstein ou Marquise de Famenne ? Etes-vous Grenobloise d’origine sicilienne ? Etes-vous Canadienne, née au Québec, en Gaspésie, à Sainte-Félicité ?

majorette allemande de l’Est ? Une vieille nymphomane calviniste de l’Empire britannique ? Une jeune et brillante mathématicienne nigériane (en possession d’une carte de séjour espagnole) (probablement fausse) ? Une

- Identifiez-vous ! Vous pénétrez dans une zone de turbulence ! Vous risquez de vous attirer des ennuis !

secrétaire de direction à la Régie des Bâtiments ? Une vendeuse d’une boutique de luxe de l’avenue de la Toison d’Or ou de l’avenue Louise ? Une infirmière de nuit de l’hôpital d’Ixelles ? Une (depuis huit ans) caissière du Delhaize de la rue de Hennin ? Une étudiante (depuis deux ans) inscrite en première année à l’ICHEC ou à l’Institut Cooremans ? Une fille (depuis toujours) de l’Assistance publique ?

- Identifiez-vous, bon Dieu !

Je n'avais personne d'autre qu'elle (et je

la flairais et je

- On ne me renifle pas, on me respire !

la reniflais) (et j’enfonçais l’extrémité de mon auriculaire dans le creux de son oreille et je

passais l’index et le majeur dans les boucles de ses cheveux) (et je

lui toilettais les duvets, les soies, les peaux, les écailles, les plumes, les piquants et les cornes) (et je

me blottissais contre sa poitrine) (et je

tentais de la séduire) (et je

lui tétais les seins[4]) (et je

lui léchais le visage et le cou) (et je

lui cassais un oeuf sur la tête) (et je

lui massais les épaules et le dos) (et je

lui creusais le nombril) (et je

- Tu ne n’intéresses qu’à mon nombril ?

pressais mon bide bedonnant contre son cul[5] croupeux) (et je

- Tu n’aurais pas tendance à confondre ma cicatrice ombilicale et le bouton d’ouverture de mes jeans ?

lui suçais les petits os du pied) (et je

l’embrassais sur toutes les fesses) (et je

frottais ma joue sur son pubis[6] et je

prenais toutes ses odeurs) (et je

- Même mes bouffées de chaleur et mes baisses de tension ? Et mes angoisses aussi ? Et mes pertes d’aplomb[7] ?

- Et mes odeurs d’emplâtre dépilatoire, d’onguent à bronzer et de pommade vaginale désinfectante ? Et mes fragrances de foin, de beurre rance, de sauce rouge, de bulukutu[8], de feuilles de manioc pilées et de beurre de karité ? Et mes doutes et mes lassitudes et mes incertitudes aussi ?

la mangeais toute entière[9]) (vivante) (avec la pulpe et la peau et les pépins) (sans rien recracher) (et je

me renseignais sur sa réceptivité en éprouvant la saveur[10] de ses urines) et elle

- Que le diable entre dans la chambre en soufflant (un vent de tempête) ! Qu’explosent les coutures de velours des jeans de la (tendre) chevrette et les quatre boutons métalliques de la braguette du bouquin (cagneux) ! Que les oiseaux becqueteurs de l’Amazone, du Nil et du Congo nous nettoient les aisselles, nous épouillent le pubis et nous débarrassent de nos parasites ! Et que s’éteignent toutes les bougies (au miel, à la citronnelle et à la camomille) et les lampes magiques de Coleman et d’Aladin ! Et qu’on échange nos liquides !

n’aimait (toujours) pas ce que j’écris[11] mais elle

n'avait (encore) personne d'autre que moi.



[1] Un corbillard, une ambulance et une autopompe. Dans l’ordre.

[2] Dont le hors bord ou la vedette rapide se glisse dans le sillage d’un ferry (ou d’un cargo russe ou congolais en provenance de Vladivostok ou de Boma ?) (et battant pavillon panaméen ou de l’Etat de Saint-Vincent ?) pour échapper aux radars des garde-côtes.

[3] Et bermuda à fleur ! Portant le casque, les gants, les coudières, les genouillères, les lunettes de soleil (ou de pluie) et la veste fluo !

[4] On se montrera délicat dans la manipulation des tétines. Pour éviter les crevasses, on portera la bouche à hauteur du mamelon de telle sorte que la succion s’applique sur toute l’auréole et pas seulement sur le mamelon. On veillera ensuite à sécher chaque mamelon afin d’éviter l’humidité résiduelle favorisant la macération.

[5] Le cul de ma femme mariée !

[6] Cesse de t’épiler ! Ta barbe me pique !

[7] Commissaire d’exposition (décide Joëlle Baumerder) (à Saint-Gilles) (au bar de l’Union) ! Executive woman (se marre Nadine Plateau) (à Saint-Josse) (sur les trottoirs de la rue de l’Union) !

[8] Ou d’hierba Luisa cueillie dans le jardin d’Agnès-la-Valenciana. Et mise à sécher, à l’ombre, sur une table, à côté du paellero.

[9] Je l’épluchais, je la pelais, je la pressais, je la hachais. Je la mettais cuire dans une grande casserole de fonte avec du vin blanc et une cuillère à café de poivre et de baies. Je la faisais réduire à petit feu.

[10] Parfum de lavande ou de jasmin ? Touche unique d’amertume et arôme légèrement épicé (comme la blanche de Hoegaarden) ? Odeur dégagée par les usines de fabrication d’huile d’olive dans le sud de l’Espagne ? Senteurs de musc, de santal, de thé vert ou de fruits exotiques ?

[11] Pour, malgré, d’après, sur et à cause d’elle.