samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - We zullen contact met U opnemen

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac

We zullen contact met U opnemen



(050206)


Tout a commencé par

un coup de fil. En fin de matinée.

- Il est arrivé quelque chose de sérieux ! On a vraiment besoin de toi ! On ne peut rien te dire par téléphone ! Il faut absolument que tu viennes ! On veut te voir sans tarder ! On doit te parler ! We moeten je spreken ! On doit te communiquer une nouvelle importante ! L’heure est très grave ! On doit régler rapidement un problème pressant ! Het is nu het moment ! Le moment est venu ! Il y a urgence ! Il faut faire très vite ! On doit te donner nos dernières instructions ! me dit une voix bizarre qui me rappelle quelque chose (mais je ne vois plus quoi) ou quelqu’un (mais je ne vois pas qui).

Comme une couture secrète. Comme une vieille cicatrice. Comme un engagement oublié. Comme un men-

songe. Comme un ar-

rière goût de pipi dans l’ar-

rière gorge d’une tireuse de vin de palme. Et on me demande de prendre l’avion pour Bruxelles/Brussel. Dans les meilleurs délais. Et de descendre

- We zullen contact met U opnemen ! On te contactera !

à l’hôtel Plaza. Entre la place de Brouckère et

- Op de vierde verdieping ! précise-t-on. Au quatrième étage !

la place Rogier. Dans la soirée du même jour, on me fait remettre un billet de SN Brussels Airlines (en mains propres) (par un coursier portant un casque rouge de motard et un blouson de cuir noir). Et une enveloppe

à mon nom

remplie de liasses de billets de cent euros encore neufs

blanche avec un liseré noir

sans aucune indication de provenance.

Le lendemain matin, je débarque à l’aéroport de Zaventem. Je prends immédiatement une chambre comme on me l’a demandé. A l’hôtel Plaza (entre la place de Brouckère et la place Rogier). Au quatrième étage.

Et puis j’attends qu’on me fasse signe.

Un jour. Puis un autre jour.

Le troisième jour, on frappe à la porte. J’ouvre. Ils entrent dans ma chambre. Au quatrième étage de l’hôtel Plaza (entre la place de Brouckère et la place Rogier). Ils sont deux. Ils sont grands. Ils sont beaux. Ils sont forts. Ils sont habillés tout en noir. Ils se ressemblent dangereusement. Ils me donnent l’accolade et m’embrassent sur la bouche. Ils m’invitent

- Volgen ! Suivre !

à les accompagner. Ils m’amènent jusqu’à leur voiture. Ils m’installent à l’arrière du véhicule. Confortablement. Et puis

- Verontschuldigen ! Excuser !

ils me bandent les yeux. Et pendant tout le trajet personne ne me parle. Et personne ne se donne la peine de répondre à

- Wachten ! Attendre !

mes questions. Et je me demande toujours quels sont ces gens qui m’ont payé un billet d’avion de la SN Brussels Airlines et pourquoi ils m’ont fait loger au quatrième étage de l’hôtel Plaza (entre la place de Brouckère et la place Rogier) et pour quelles raisons ils veulent absolument me rencontrer et en quoi je puis leur être utile et de quelle nouvelle importante ils comptent me faire part et de quel problème pressant ils désirent m’entretenir et quelles dernières instructions ils ont l’intention de me donner.

Après avoir roulé longtemps dans les rues de Bruxelles/Brussel, la voiture finit par s’arrêter

- Descendre ! Uitstappen !

dans un garage souterrain. Les deux accompagnateurs me prennent

- Venir ! Komen !

par le bras. Avec autorité. Ils me font

- Monter ! Opgaan !

gravir un escalier. Fermement. J’entends une porte

- Entrer ! Binnengaan !

s’ouvrir. Ils me débandent les yeux. Et je me retrouve

- Saluer ! Groeten !

devant EUX.

J’avais complètement oublié leur existence.