samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - Intéressez-vous à la fréquence de mes mictions

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac


Elle avait fini par accepter de m’épouser.

- Pour les fafs, Motitio ! Pas pour les mœurs, quoi !

Nous sommes à présent, tous lits confondus, vieux de cinq enfants. Deux sacrées nanas et trois foutus gaillards.

- Et pépère et mémère de bientôt sept kokos, petite cadine chérie !

Elle a cinquante ans (pas mal moins ?) et, moi, j’en ai soixante-cinq (pas mal plus[1] ?). Elle danse toujours devant le miroir de la salle à manger. Et, moi, j’ai pris ma retraite. Comme galant, minet, guignol, amant, époux, confident, connivent, meilleur copain, compagnon de route et, aux petites heures de l’aube, conducteur de la voiture de madame de la maison.

- Quand je suis complètement schlass, quoi ! Tu n’voudrais quand même pas qu’on m’retire mon permis, Motitio ?

Tout baigne.


Intéressez-vous à la fréquence de mes mictions



Il venait d’avoir 65

- Qui a décrété que mes herbes étaient devenues mauvaises ?

ans. Le boucher[2] de la place Hendrik Conscience (qui connaissait sa femme mariée aussi) (et ses enfants aussi) (et

- Et qu’il fallait les arracher ?

ses petits-enfants aussi) lui faisait encore

crédit. La coiffeuse vietnamienne de la rue Malibran aussi et l’épicière ghanéenne de la rue du Collège aussi et la pâtissière irakienne de la rue Maes (dont on croyait qu’elle était portugaise) (ou turque et) (qui se disait chrétienne et) (qui souffrait d’hypertension et) (dont le linge séchait à la fenêtre et) (qui préparait dans sa cuisine

des tartes aux fraises et/ou aux bananes et/ou aux pommes et

des gâteaux du Ramadan et

des bûches de Noël

- A commander la veille avant 18 heures, Motitio ! Tu sonnes au deuxième ! Je livre à domicile !

au noir) aussi

et Gourad, l’épicier du coin-chef de quartier, aussi.

- Tout baigne, Motitio ? Tout bande comme avant ? Pourquoi tu ne viens plus chercher des tomates, des concombres et des poivrons (ou du pain ou des bottes de menthe et de coriandre ou de l’huile de palme ou des avocats ou des bananes plantain ou une boîte de pilchards ou une tranche de pastèque ou une caisse de mandarines) dans mon magasin (ou des poires du Chili en provenance d’Afrique du Sud) ? On ne te voit plus beaucoup ces derniers temps ! Tu es devenu raciste ? Tu es devenu machiste ? Tu préfères envoyer madame de la maison (et les enfants et les petits-enfants) à ta place ? Ou bien c’est ta sciatique ou ton lumbago ou ta scoliose ou ta sclérose en plaques qui te bloquent à la maison ? Ou ta prostate ou tes hémorroïdes ou ton entorse cervicale ? Tu es devenu carrément grabataire, Motitio ?

Il aurait tellement aimé poser sa serviette sur un banc public, jeter l’ancre, reprendre ses billes, déposer les armes, enlever sa tenue de combat, retirer les lacets de ses souliers et se coucher dans l’herbe, retrousser les manches de son pantalon, vider ses poches, s’aérer les couilles, dégrafer son corset orthopédique, débrancher son appareil respiratoire et s’asseoir sur un capot de voiture, s’allumer un pétard et

fonctionner au ralenti comme

- Et passer l’après-midi à jouer au scrabble avec madame de la maison et les ami(e)s de madame de la maison, non ?

- Jamais [3] !

gardien (de parc, de phare ou de parking) (ou d’une bande de moutons échevelés dans les Cévennes) (ou de la salle des iguanodons ou

- Et tenir compagnie à madame de la maison lorsqu’elle se fait rissoler les abattis, fumer les miches et laquer le canard sur la plage de gazon d’Alain et Françoise (et Arno), non ?

- Jamais ! Mais boire trois ou cinq Faro ou quatre ou six Affligem ou sept ou neuf pressions à la brasserie de l’Union en compagnie de Jan, Henri, Kathy, Didier (un autre Didier !), Maurice, Michel, Claudine et Jean-Marc ou Brecht avant de se taper une longue sieste (et de passer la nuit au Tournant, au Carrefour, chez Ma Betty, chez Shango ou chez Jackie la Marraine), oui !

des tyrannosaures de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles) (ou de batteries de couronnes de fleurs violettes déposées sur les tombes de Charles De Coster, de Lilianne Tala Ngai, du général Boulanger et de Marguerite de Bonnemains au cimetière d’Ixelles[4]) mais

- Et chiffarder un verre à rhum (de marque inconnue), une bouteille de sauce pimentée (Heinz) et dix cartons de bière (Chimay) au nez et aux rouflaquettes de Fabrice, oui !

ne pas cesser de vivre pour autant et

- Mais c’est du vol ça, Motitio !

- Jamais ! On avait refilé dix zaïres (cinquante makutas et vingt sengis) de pourboire à Fabrice, non ? Il aurait quand même pu se méfier, non ? Il aurait dû se douter d’autre chose, non ?

déguster encore quelques grappes de raisins, picorer un sachet de grains de maïs, fumer une pipe d’opium, jouer de l’accordéon dans les couloirs du métro[5], manger une douzaine de safus

- Avec du sel et du pili-pili, petite cadine chérie ! Sans beurre (ce sont les Blancs qui mangent les safus avec du beurre, non ?) ! Et, surtout, tu n’enlèves pas la peau !

siroter un verre de tangawisi, grignoter des branches de céleri, mâchouiller des gousses d’ail et

s’en-

têter et recom-

mencer à vivre

- Ouvre les rideaux, petite cadine chérie, que je puisse voir les éclairs ! Et confirme-moi que les coffres-forts de la banque Fortis et la terrasse du Belga, sur la place Flagey, sont complètement sous eau !

plusieurs fois, sous toutes les formes possibles (les quatre mois de la paisible existence d’un agneau[6], les quarante jours de la bonne fortune d’une mouche, les vingt-cinq à trente jours du joyeux règne d’un pou, les quinze jours à trois semaines de la folle destinée d’une puce de chat) jusqu’à ce que le boulot

- Classer les extraits de banque, régler les factures de téléphone en souffrance, payer quelques dettes pressantes[7], mettre la dernière main à de vieux manuscrits, en deleter ou en brûler plusieurs autres, rédiger un dernier recueil de contes d’Althusser (avec un cure-dents ou une pince à épiler ?)

- D’Alzheimer, qu’on te dit, Motitio !

- Répondre au courrier entrant, retrouver quelques vieux amis de Kinshasa dans un taxi collectif d’Ibadan ou de Belize ou de Tabriz, détruire des preuves accablantes et bâillonner des remords compromettants, faire du jogging le long du chemin de halage du canal de la Nethe (ou des étangs d’Ixelles ou du barrage d’Akosombo ou du lac Tanganyika), trafiquer un curriculum vitae et le transformer en notice nécrologique, vider le lave-vaisselle et la corbeille à papier, rentrer les vaches, traire les chèvres, nourrir les porcs, donner le biberon aux veaux, faire jouir madame de la maison, passer l’aspirateur dans le salon, balayer la cuisine, arroser la plante du couloir, verrouiller la porte d’entrée, fermer les volets, tirer les rideaux, couper le chauffage, éteindre la lumière, présenter des excuses, solder quelques comptes, obtenir un quitus ou une condamnation, traverser l’Atlantique en rollers ou le Pacifique à dos de cheval, remettre un peu d’ordre dans le bureau, signer des pétitions ou participer à des manifestations (contre G. W. Bush, le virus H.I.V., le Vlaams Belang, la directive Bolkestein et le réchauffement de la planète) (pour la Tchétchénie, l’annulation de la dette extérieure des pays rackettés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et le droit d’insulter ses amis(e), camarades, parent(e)s et allié(e)s, voisin(e)s d’en face et de tous les côtés), rédiger des « prises en charge » et des « attestations d’intégration positive au sein de la société belge » (sic !) (comme sicav) (comme sicaire), classer des notes de gaz et d’électricité (dans la boîte en carton d’une nouvelle paire de bottines Mephisto), casser de la porcelaine en Chine, mâchouiller du qat au Yemen ou du coca en Bolivie, atterrir en parachute sur un troupeau de chèvres ou de chameaux au Kazakhstan, quoi !

soit terminé. Il aurait tellement aimé aller où les éléphants

- Avec une telle assurance, petite cadine chérie ! Avec autant de conviction et tellement de certitudes !

vont mourir. Sans doute avait-il raté la vie de tous ceux qu’il aimait[8] et voilà qu’il se demandait à présent comment

indemniser madame de la maison de l’avoir épousée et

dédommager ses enfants et ses petits-enfants de les avoir embarqués de force dans un autocar

- Save-sex, fast-food, drive-in, shake-hand, brain-drain, fit-ness, flash-back, jet-set, biz-ness, sold-out, gas-oil, dow-jones, lock-out, phone-shop, spin-off, start-up, come-back, stock-cars, jack-pot, play-back, strip-tease, make-up, mix-drinks, egg-nogg, pop-corn, milk-shake, talk-show, free-fight, yes-men, kiss-up (and kick-down), has-been, burn-out, doggy-bags (and body-bags) !

fou piloté par un chauffeur

ivre qui faisait des embardées sur l’autoroute, dérapait dangereusement et menaçait de bas-

culer dans le ravin.

- Ne me zappez pas ! Balancez-moi de grandes claques dans le dos et grattez-moi l’anus ! Accordez-moi de l’importance ! Intéressez-vous à l’aspect de mes selles et à la fréquence de mes mictions ! Laissez-moi terminer mes phrases trop longues ou déglinguées (avec tout plein de grains de sable, d’épines et d’arêtes dans les charnières et les gosiers) (ça grince) ! Faites-moi l’amour ! Jouez-moi du likembe, de l’arc musical ou du tambour parlant ! Regardez-moi quand j’éjacule et que je meurs !

- Tu ne devrais pas mourir trop souvent, Motitio ! Les gens finissent par se lasser, quoi !

- Applaudissez mon cercueil, nom de Dieu !

- Arrête de mourir[9] tout le temps, Motitio, tu déranges ! Tu veux qu’on t’enfonce un thermomètre dans le cul ? Tu veux qu’on demande à la vétérinaire du quartier de venir te jouer une brabançonne à domicile ?

Et prenait-il la mouche.

- Tuez-moi ! Tuez-moi !

Et tirait-il dans la foule une quarantaine de coups de feu en criant

- Boma ngai, ko ! Brisez-moi les os du crâne (avec vos drapeaux, vos livres saints, vos potences, vos croissants, vos règlements, vos équerres, vos compas, vos faucilles, vos marteaux) ! Crevez-moi le ventre ! Découpez-moi le zizi en tranches de saucisson à l’ail !

avant d’être maîtrisé.

Portant une écharpe en étole (ou un pull-over autour du cou) pour dissimuler sa panse et ses tétons, il était un peu fatigué de devoir continuer à monter sur scène et à faire son numéro. Encore et

- Arrête de rire, Motitio ! Quand tu ris, tu tousses ! Et tu m’éclabousses la gueule, quoi !

toujours. Et de devoir aller à l’Union (à l’Union, à l’Union, à l’Union, à l’Union, à l’Union). Donner le change. Avoir la niaque. Tirer la gueule ou sourire comme d’habitude. S’étonner, s’indigner, s’émouvoir, somnoler. Recevoir les amis (les amis, les amis, les amis, les amis, les amis). Sauvegarder les apparences. Parler aux gens (aux gens, aux gens, aux gens, aux gens, aux gens). Leur écrire. Essayer de leur plaire ou de leur déplaire. Encore et toujours. Il ne se rappelait même plus le nom des personnes

- Comment va madame de la maison, Motitio ?

qui le saluaient dans la rue, le bus ou le métro.

- On se connaît ?

Et sa jambe gauche continuait de rac-

- Arrête de mourir, Motitio, tu m’empêches de dormir, quoi !

courcir. Et son nez de cou-

- Avec l’âge, tes nuages rasent les toits, Motitio ! Tes sarcasmes sont devenus médiocres, quoi ! Tu ne t’envoles plus, tu ne galopes plus, tu ne prends plus feu ! Tu ne possèdes même plus [10] un cinquième de château branlant en brousse profonde pour me faire rire au soleil en été ! Tu as perdu toutes tes dents et la plupart de tes talents !

ler. Et ses sourcils de s’épais-

- Et tu es vraiment obligé de faire tout ce boucan quand tu meurs ?

sir. Et ses paupières de s’af-

- Seuls tes défauts survivent, Motitio ! Plus rien ne subsiste, quoi ! Seulement la cosse, la brou et les noyaux ! Et quelques cailloux dans les chaussures des gens ! C’est la tête qui ne suit plus et tu as du mal à l’accepter, quoi !

faisser. Et ses oreilles de chou-

- Si tu continues de mourir en faisant autant de bruit, je change de chambre ! Je ne suis pas ton infirmière, quoi !

fleurir. Et son nombril de sup-

- Cesse de te gratter, Motitio, tu ne cicatriseras jamais !

purer. Et ses couilles de pen-

- Meurs en silence, quoi !

douiller (l’une retombant plus

- Tu me réveilles quand tu as fini de mourir, d’accord ?

bas que l’autre), comme le vieux trous-

seau de clefs du père économe d’un collège de Jésuites, au fond d’un caleçon jaunâtre. Et

- Où sont passés, petite cadine chérie, les gens qui devaient me jeter des fleurs et déposer des couronnes au pied de ma statue ? Qui fera trois fois le tour de mon cercueil ?

maugréait-il et se curait-il le nez avec une antique fraise de dentiste gaumais et se fabriquait-il un scapulaire contres les fièvres de Famenne et les sorts jetés par les sorciers de la forêt d’Ardenne. Et

jetait-il des billes de souris d’ordinateur, des canettes de Jupiler, des pavés de grès, des mangues trop mûres, des noix de coco, des marrons et des châtaignes, des pots de yaourt, des œufs pourris, des fétiches désactivés et des hosties périmées sur les ami(e)s, les camarades, les parent(e)s et allié(e)s et

- A la bonne vôtre ! Si tout va bien, dans cinq ans, je serai mort !

les voisin(e)s d’en face et de tous les côtés qui ne cessaient de squatter son jardin privé

- Ou complètement gâteux, anarchiste (déluré comme un potiron, orangé comme un marcassin) reconverti en petit-bourgeois retraité (prostateux et parano) !

et de lui voler ses radis noirs, ses carottes jaunes et ses tomates rouges[11]

et de préparer des tartes (ou des gâteaux du Ramadan ou des bûches de Noël ?) avec les fraises et les bananes

et les pommes cueillies dans son verger.

Il avait 65

- Je suis éreinté, complètement virusé, éteint comme un vieux phare à pétrole soufflé par un vent d’orage ! Je n’ai plus aucune énergie[12] ! Une larve (chaque plante a sa chenille) me dévore de l’intérieur ! Je suis grignoté, gobé, sucé, consommé ! Je suis vidé de toute substance ! Je n’ai même plus la force de tourner la manivelle d’un orgue de barbarie à l’entrée de la station de métro Louise ! Le jour, j’attends que la nuit commence à tomber ! La nuit, j’attends que le jour veuille bien se lever ! Je ne me vois vraiment plus revenir à la ligne de départ, reprendre la partie au début du parcours, lancer encore les dés, relever les défis, faire avancer les pions, pas à pas, de case en case, d’oie en oie, de Nassogne à La Plante, de La Plante à Euskirchen, d’Euskirchen à Rösrath, de Rösrath à Düren, de Düren à Grozny, de Grozny à Mbanza-Mboma, de Mbanza-Mboma à Yolo-Nord, de Yolo-Nord à Kasavubu, de Kasavubu à la Gombe, de la Gombe à Ixelles-Elsene, d’Ixelles-Elsene à Badja, de chausse-trape en piège à loups !

ans et commençait à tomber en vrille. Il passait toutes ses journées au lit (à lire des journaux, boire du gaspacho et regarder la télévision). La (criarde) pintade électrique du voisin d’en face et

- Désolé, Motitio, on m’avait dit que tu étais complètement sourd !

la (qui pue de la gueule) paire de bottines Méphisto (que sa femme mariée et ses enfants et ses petits-enfants lui avaient offerte, l’année dernière, pour son cinquante-quatorzième anniversaire) continuaient d’avoir une espérance de vie (une capacité d’émission de bruits obscènes et d’odeurs nauséabondes) très supérieure à la sienne. Il n’arrêtait pas de se poser des questions bizarres

- Que reste-t-il de l’esturgeon après qu’on lui ait volé tous ses œufs ? Pourquoi les morts ne sont-ils pas invités à rédiger et à corriger les épreuves des rubriques de journaux (faits divers de la Dernière Heure, carnets du Monde, nécrologies du Soir) qui vantent leurs exploits ? Après combien de temps (une fois sortis de l’eau) les cailloux de la Diglette et de la Wassoie crèvent-ils d’asphyxie au soleil ? Et les perles (quand personne ne les porte) et les tiques aussi ? Tous les pédophiles font-ils les devoirs et réparent-ils les vélos et les trottinettes des petits enfants qui jouent sur les trottoirs de la rue Sans Souci et de la rue Van Aa ? Sur quel territoire les morses défient-ils les éléphants ? Est-il vrai que les poissons ne sont pas de vrais mammifères parce qu’ils ne croient pas en (le même) dieu (que les chats d’égouts et les rats de gouttières) ? Les cabillauds savent-ils qu’ils valent (à la criée d’Oostende ou de Zeebrugge ou chez le Delhaize de la rue de Hennin) de plus en plus cher et font la fortune de leurs prédateurs ? Comment le cobra se saisit-il du manche de sa brosse à dents ? Il n’y a pas de bibliothèque de prêt ou de salle de lecture à l’usage des résidents permanents du cimetière d’Ixelles ? Un kilo de gigot pèse-t-il plus lourd qu’un kilo de fesses ? Plus je vieillis et plus je retombe au XXe siècle (et plus je me rapproche du XIXe) ? La gorge d’un crucifié a-t-elle été tranchée d’une oreille à l’autre (et son corps enterré dans une outre en peau de porc) par un négociant en scorpions ou en araignées ? De quel nuisible suis-je le plat préféré ? Les poireaux font-ils venir les larmes aux yeux de qui que ce soit ? Quand on pisse sur les trottoirs de la place Flagey, doit-on tirer la chasse ou demander à un jeteur de foudre de faire éclater un orage dévastateur ? Pendant combien de temps une sangsue peut-elle survivre sans s’abreuver de mon sang ? Peut-on faire la Révolution française à l’amiable et le Révolution d’octobre par consentement mutuel ? Les lévriers afghans sont-ils plus chatouilleux que les bergers allemands ? Les animaux herbivores peuvent-ils être considérés comme de véritables écologistes, oui ? Et les plantes carnivores, non ? Les vaches et les moutons (pillards de prairies !) mangent-ils ou piétinent-elles les champignons hallucinogènes ? Un poisson vert n’est-il rien d’autre qu’un poisson rouge qui n’a pas encore mûri ? Puis-je demander l’asile conjugal au Togo ? Ou au Carrefour, rue de Dublin, chez Hono et Vieux Henri ? Cette demande sera-t-elle déclarée recevable par les juges de paix du coin de la rue de la Paix et du Couloir de la mort ? Dois-je me faire faire un lifting ? Demain j’arrête de boire et de fumer ?

inutiles et

- Jamais !

stupides.

- Il est temps que je me barre, petite cadine chérie, mais je ne sais pas où aller !

Entendant ces propos déconcertants, les grenouilles, les merles, les puces, les sauterelles et les walibis pres-

- C’est un truc de ouf !

sentirent qu’il était temps de partir et se dirigèrent en claudi-

- Ba mpangi ya Vincent !

quant vers la porte d’entrée. Et se retinrent-ils curieusement de sau-

ter. Tandis que madame de la maison fît savoir aux derniers soûlards que Motitio[13] était vieux, usé et fatigué et que la représentation était ter-

- Ecrasez vos mégots et videz vos verres, quoi !

minée et qu’il fallait à pré-

- N’oubliez pas d’emporter vos gants, missels, chapeaux, avortons, corniauds, vieillards, rancoeurs, prêches et parapluies, quoi !

sent se disper-

- Et de laisser les gobelets et les petites cuillères en plastique !

ser.



[1] En fait, quand elle avait treize ou quinze ans, il en avait vingt-trois de plus (tout le monde s’en doutait mais personne n’a jamais rien osé dire). Et aujourd’hui le même écart les sépare mais il y a prescription, non ?

[2] Mimoun, mon frère ! Mais qui vient de fermer boutique ! Pour cause de déprime ? Que va devenir le quartier ? Sans préavis ! Qui demandera des nouvelles de nos enfants (Hortense, Nadine, Eric, Djuna et Lianja) et de nos petits-enfants (Sukina, Marco, Percy, Tensia, Maëlle, Lohile et X) ? A qui en donner ?

[3] - On ne lutte pas contre la maladie d’Althusser en faisant des mots croisés !

- D’ Alzheimer, Motitio !

[4] Où la Malibran n’a pas été enterrée, eh !

[5] Zone n°33. Station Hôtel des monnaies. On crève les yeux des accordéonistes pour les obliger à jouer du canari ?

[6] Durant les quatre mois de sa paisible existence, l’agneau reste toujours en compagnie de sa mère. Il l’accompagne dans les pâturages, à la Calebasse et au 333, aux séances d’exorcisme (boutons les Anglais hors de France !) et dans les groupes de prière, chez l’épicier du quartier. Il profite pleinement de la vie. Il tète encore mais paît déjà. Jusqu’à quelques jours ou quelques heures avant les fêtes de Pâques ou de l’Aïd.

[7] 70 euros à Hono (des saucisses grillées, des petits os, des kamundele, des gésiers et des ailes de poulet, cinq ou sept bouteilles de mongozo, quelques verres de sucré pour la maman de Nicky et un ou trois pichets de vin pour Rachou ou Marie-José) (c’était la fête à Matonge !), 90 euros à Ali (changement des plaquettes de frein et des essuie-glaces de la voiture de madame de la maison), 75 euros à Hortense (pour son anniversaire) et 9 euros à Odile (remboursement d’un « bon pour » de six gobelets de bière à la pression).

[8] Père négligent (ne pas avoir amené ses enfants aussi loin qu’ils pouvaient aller ?), mari défaillant (avoir divorcé d’une sultane et) (avoir séduit une jeune fille innocente par la promesse d’un mariage en Belgique et) (ne pas l’avoir fait rêver, rire et jouir aussi souvent et aussi longtemps qu’elle l’aurait mérité ?), écrivain sans talent (ne plus avoir cherché sérieusement, depuis la fin du XXe siècle, à séduire ou à soudoyer les marchands de papier ?), juriste incompétent (ne pas avoir réussi à perdre, contre Bernard et Nadine, le seul procès qu’il ne devait pas gagner ?)…

[9] On monte au Paradis. Le shit, la viande de porc, le lotoko, les vierges (et les p’tites femmes d’autrui) ! Tout ce qui était interdit est à présent autorisé !

Mais voilà que l’ascenseur s’arrête à mi-course et que la température monte. Et que l’air se raréfie et qu’il vient à manquer.

On serre les fesses pour ne pas lâcher de vents. On grignote quelques fèves de cacaoyer (guérissant la débilité profonde, l’anémie, l’insomnie, le rachitisme, la panne sexuelle et la morosité). On se retient de sauter à la corde. On se pèle une banane. On est pris d’une furieuse envie de pisser.

[10] Il était temps, pourtant, d’effacer la toile de l’araignée, non ?

[11] Un corbillard, une ambulance et une autopompe. Dans l’ordre !

[12] Etat de fatigue général que plusieurs facteurs peuvent expliquer (le stress, la surdité, les troubles du sommeil, le taux de vétusté, une mauvaise alimentation, un début de calvitie) (l’augmentation du prix du sac de cosettes de manioc, les tracasseries administratives, les contraintes légales, les délais de livraison, le service après-vente, les droits d’auteur et de succession) (mon aspirateur qui perd le souffle, ma bite qui s’affaisse, mon avion qui tombe du ciel, les distributeurs automatiques de billets qui refusent mes cartes bancaires) ? Ou une combinaison de plusieurs de ces facteurs ?

[13] Ainsi l’appelait sa bokilo, la mère de la sultane.