samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - Ma pute de proximité

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac


Ma pute de proximité


(050714)


Je consulte ma pute de proximité assez

- Une ancienne vétérinaire de cirque ambulant (acrobates, clowns, écuyers, dompteurs) ayant également servi dans la cavalerie polonaise, hongroise ou napoléonienne (chasseurs, hussards, spahis, cuirassiers) ?

- Une suceuse de pattes de crabe ! Une pipeuse d’orteils de prêtres !

régulièrement pour

- Toujours disponible ! A son cabinet de travail comme au domicile du client ! Dans la suite royale d’un hôtel en toc de l’avenue de la Toison d’Or comme dans l’enclos[1] des poules et des canards d’une ancienne ferme-restaurant du Brabant Wallon (entre Liège/Luik et Bruxelles/Brussel) ! Tous les jours de la semaine et le week-end aussi ! Et même le dimanche après-midi ! Assurant une permanence (le vendredi et le samedi) (en soirée) pendant les petites, les moyennes et les grandes vacances ! Chèques-repas et cartes de crédit acceptés !

une visite d’entretien du moteur, de restauration des monuments et sites ou d’aménagement du territoire ou

- Pleine d’allant et de gaieté ! Spécialiste du massage plantaire ! La bouche préhensile et goulue[2] ! Toute dévouée à la cause des timides, des dépressifs, des bandeurs mous et des éjaculateurs précoces[3] ! Dès que je l’ai vue, j’ai flashé sur elle ! Et j’ai su que je pouvais encore aimer ! Et que je ne pouvais plus me passer d’elle !

même, quelquefois, pour une intervention en urgence.

- Ils sont nombreux à ne raidir leur queue (lavements, shampooings, brabançonnes) (communions solennelles, ordinations sacerdotales, extrêmes-onctions) (dégazages en eaux profondes) que pour elle ! Et elle apprécie d’être la seule à recevoir leurs faveurs !

Je sonne à l’en-

trée. Une mère maquerelle, bré-

haigne et cacochyme (une maquilleuse, une script ou une chargée de production choisie de telle sorte qu’elle ne puisse pas faire concurrence aux vedettes du film ?) et dont la masse viandeuse est très développée (mais qui n’a jamais eu l’abdomen arrondi par deux grossesses de trois mois dont le crocodile, le léopard et l’aigle n’ont jamais reconnu être les auteurs ?) et ren-

- Mademoiselle est occupée[4] !

frognée m’entrebâille (à contrecoeur et pru-

- Vraiment très occupée[5] !

demment ?) la porte.

- Vous avez-rendez-vous[6] ?

Je réponds que oui.

Mais que je suis en avance.

Mais que j’aime attendre.

Mais que j’ai tout mon temps.

Mais que j’ai emmené un carnet de poésie ou un vieux missel orné d’enluminures ou un journal boursier ou une revue de cul.

- Entrez dans le salon rose au fond du couloir ! On y sert des loukoums (à enfourner), du tangawisi (à siroter), des gousses d’ail (à mâchonner) et des branches de céleri (à grignoter) aux visiteurs en attente d’être reçus par Mademoiselle.

Sur rendez-vous, c’est un peu plus cher. Mais le service est meilleur et

- Beaucoup de viandards viennent me voir ! se place Mademoiselle (comme si elle souffrait d’une crise de cystite aiguë et se retenait d’uriner) une main sur le bas du ventre. Parce qu’ils ont m’ont vue sur Internet ou qu’ils ont entendu parler de moi ou qu’ils ont lu les petites annonces que je fais passer dans Vlan[7] ou dans Passe-Partout[8] ! Et me met-elle (s’asseyant sur la moquette, les jambes croisées, dans le position du lotus) la main à la braguette (s’agenouillant et laissant glisser sa robe de chambre sur le sol). La première fois, ils ont toujours du mal à franchir la porte, mes chéris ! Et me laisse-t-elle (s’allongeant sur le canapé et décroisant les jambes) jouer avec les bretelles de son soutien-gorge rouge et les ficelles de son red-string. Mais quand je comprends ce qu’ils veulent, mes chéris, et qu’ils sont satisfaits du service, ils me reviennent toujours ! Et me fait-elle (s’octroyant une pause syndicale, s’allumant un pétard et s’ouvrant une canette de bière) ses confidences[9]. Ils m’embrassent dans le cou et me caressent le pubis ! Ils négocient le droit d’entrée de leur bite dans l’un ou l’autre (ou chacun) de mes orifices (le con, le cul, la gorge) ! Ils ne m’aiment pas d’amour, mes chéris ! Ils m’empoignent et me tamponnent (je suis une balancelle emboutie par un hippopotame !) et me défoncent ! Ils m’agrippent et me décapsulent (je suis une boîte de chips encornée par un rhinocéros !) et me tirebouchonnent ! Ils ne m’épousent pas, mes chéris (comme un amant épouse une maîtresse !), ils me chaussent ! Ils me jouent au flipper, cherchent l’extra-ball et la partie gratos ! Ils me donnent de grands coups de reins poussifs, jouent du bassin de façon grotesque, se déhanchent, se contorsionnent, ahanent, blêmissent et, souvent, perdent le souffle (mais jamais la raison et encore moins la vie !) et se dégonflent lamentablement ! Le plus habituellement, ils se contentent de m’enfiler vite fait et de se masturber (dans une chaussette de viande chaude !) à l’intérieur de mon corps! Et parfois, pour renflouer ma caisse (car ces prestations de service leur sont facturées beaucoup plus cher !), je permets à mes chéris de me péter l’oignon ou de me cracher leur vin de palme à la figure ou entre les seins ! Ils croient alors qu’ils sont les plus beaux, les plus forts et les meilleurs ! Ils me regardent droit dans les yeux et se sentent tout puissants ! Et, apparemment, ça suffit à leur bonheur ! Mais, quand même, pour les garder ensuite comme clients, je dois me montrer professionnelle : me laver régulièrement[10], effectuer correctement le travail pour lequel on fait appel à mon expertise, accorder le même temps de consultation à chacun de mes protégés, leur lécher les zones sensibles (entre les doigts, sous les aisselles, derrière les oreilles, à l’intérieur des cuisses, dans le pli des fesses) et exécuter scrupuleusement les marchés passés avec la patientèle !

on ne doit pas faire la file trop longtemps.

- Pour moi, les hommes ne valent guère plus qu’un tas d’ordures ! Il ne faut pas croire (aucune créature ne m’a plus envoyée au plafond depuis tellement longtemps !) que je leur fasse l’amour pour le plaisir[11] ! C’est un boulot, quoi ! Mais je suis tellement bonne[12] que toutes les autres salopes sont jalouses de moi !

Elle était ma pute de proximité.

- T’es fou !

Elle était mon petit chaperon rouge (avec soutien-gorge et string assortis).

- T’es chou !

Son ventre était tout plat.

- T’es pou, caillou, joujou, bijou, genou, hibou !

Son ventre plat (insolent d’innocence) était une plage de sable blanc sur laquelle[13] les doigts visqueux et les bites vaselinées des viandards ne laissaient pas d’empreintes.

- T’es ripou ! Personne n’a jamais déposé son chapeau sur mon lit et je n’accepte pas non plus qu’on me lèche le museau mais si t’étais un bon mac, je t’épouserais bien !



[1] Où, pendant la journée, quand les gamins jouent à l’extérieur, Jean-Paul et Violeta parquent un troupeau d’orties en divagation.

[2] On ouvre la braguette, on glisse deux doigts crochus dans le trou à rats, on enfonce l’onglet, on soulève la prédécoupe, on détache l’opercule circulaire, on dégage le pis, on sort l’orvet, on le cale en rabattant la prédécoupe, on arrache le collerette d’inviolabilité en tirant sur la languette, on tire, on gonfle, on suce, on tête, on trait, on crache.

[3] Et leur dispensant de judicieux conseils :

- Privé d’émotions (les films pornos, les caméras de surveillance, les micros installés dans les confessionnaux, les reconstitutions historiques, les images pieuses), votre pénis flanche ! Augmentez vos performances sexuelles en sollicitant davantage votre bite ! Une queue, ça s’entretient !

[4] Rires à l’étage.

- Cesse de me laper le fond du pot de yaourt, tu vas finir par t’étouffer !

[5] Cliquetis et cataclops d’un vieux sommier.

- On se laisse gagner par l’émotion ?

[6] Sanglots d’un bidet (où surnagent quelques spermatozoïdes) (affamés, épuisés et complètement désespérés). Crépitement et grésillement d’une douche sur les duvets, les soies, les peaux, les écailles, les plumes, les piquants et les cornes (les cous, les crinières, les moustaches, les tonsures, les rouflaquettes, les épaules, les dos et les reins) (et les seins siliconés et les ventres tatoués et les ongles laqués et les nombrils piercés) (et les fesses boursouflées et les sexes tuméfiés et les anus fistuleux) des amants.

[7] Cherche jeune homme, dans la trentaine, plutôt costaud pour séduire jeune fille. Salaire à convenir. Plus prime si aboutissement.

[8] On dit qu’elle a un sein plus gros (et l’autre plus petit ?) et plus bas (et l’autre plus haut ?) que l’autre. On rapporte qu’elle porte un collier anti-puces autour des reins et un collier en titane autour du cou (pour améliorer la circulation sanguine et réduire le stress musculaire ?). On chuchote qu’elle s’est fait tatouer un varan sur le ventre (dont la double langue ocre serait pointée tout à la fois vers l’anus et le sexe ?) (scrofuleux !). On prétend qu’elle est prête à tout, qu’elle se promène dans la rue en minijupe mais ne porte jamais de sous-vêtements (mais qu’elle est soigneusement épilée ?), qu’elle aime faire glisser le corps tiède et charnu de sa cavité buccale dans les endroits les plus secrets et qu’elle est disposée à payer en nature de petits travaux de bricolage à domicile. On raconte qu’elle foule le raisin en dansant au son de la flûte.

[9] … tandis que le compteur continue à tourner… et qu’elle prélève un billet rouge dans mon portefeuille (posé sur une tablette) tous les quarts d’heure…

- 10 ou 50 euros ?

[10] Les dames de compagnie sont moins sensibles aux virus que les autres personnes. Elles possèdent une immunité assez importante due à des contacts réguliers avec de nombreux client malades. On les suspecte cependant de ne pas se laver assez souvent (à l’eau de Javel et au savon de Marseille). Et on les accuse de propager méchamment de très vilains péchés.

[11] J’aurais préféré offrir mon corps aux arts (à Rubens, à Wolinski, à Ingres ou à Chéri Samba) (à Boucher, à Moke, à Chasseriau et à Reiser) (à Modigliani, à Botero, à Gericault et à Manara) (à Ousmane Sow, à Delacroix, à Grosz et à Jean-Marie Lahaye, précise-t-elle), quoi !

[12] Elle savait faire évoluer son métier pour coller aux attentes du marché (ancienne salariée, elle relevait à présent d’un statut d’artiste indépendante).

[13] Ainsi les maçons signaient-ils leur travail en laissant les marques de leurs doigts dans le mortier.