samedi 1 mai 2010

Les contes d'apnée - Sauf les chaussettes et le caleçon

Didier de Lannoy
Contes d'apnée

histoires courtes, scraboutchées sur une musique débranchée de Thelonious Sphere Monk (j’ai toujours voulu écrire comme Thelonious Monk !), de Fela Anikulapo Kuti, de Luambo Makiadi, d’Isaac Muzekiwa (à la Samba !) (vers 5 heures du matin !) ou d’Abdullah Ibrahim, qui se veulent drôles (mais ne font rire personne), érotiques (mais ne font jouir personne), politiques (mais ne changent la vie de personne), insensés (mais ne font perdre la tête à personne) et cruels (mais ne troublent le sommeil de personne)
2003-2005
Extraits - En vrac

Sauf les chaussettes et le caleçon

(050323)

Mon chat est mort

- Ça lui apprendra à courir derrière tout ce qui bouge ! C’était un obsédé sexuel !

écrasé par une autopompe (une voiture de patrouille, une dépanneuse, un camion de déménagement, une ambulance, un corbillard, un char de l’armée américaine ou la fourgonnette d’un vendeur de soupe) (en hiver) (ou de crème glacée) (en été). Ou croqué par le pitbull au nez vert et aux yeux rouges (anxieux, couard et renfrogné) d’une voisine de palier[1]. Et ma grand-mère aussi

est morte d’anorexie ou de consomption

ou de la myxomatose ou de la peste aviaire.

Et ma petite amie aussi[2]

- Il se fâchait pour un rien ! Il me frappait tout le temps !

a fini par[3]

- Je lui ai juste donné deux ou trois gifles, quoi ! Parce que je suis un homme quand même ! Et puis c’est elle qui avait commencé !

me plaquer après de nombreux mois (treize, longs, éprouvants) de guérilla conjugale. Et

la télévision aussi

est tombée en panne. Et les WC aussi

sont toujours bouchés (avec des revues de cul et des mises à jour du code civil et des bulletins paroissiaux et des rouleaux de papier hygiénique). Et je viens d’avoir 19 ans aussi. Et je décide aussi de met-

tre fin à mes jours

- Mais non… Je rigole !

en m’aspergeant d’essence, d’urine, d’eau bénite, de tangawisi, de graisse de friture, d’huile d’olive de Toscane, d’Affligem, de Faro, de Leffe brune et de gueuze Cantillon, de genièvre, de gelée de groseilles, de crème dépilatoire et de pommade vaginale désinfectante, de shampooing aux pommes, de beurre de karité, de sauce rouge et

de parfum bon marché derrière la caserne des pompiers. Et

je me déshabille complètement et j’allume une cigarette et

- Sauf les chaussettes et le caleçon !

je mets le feu à mes vêtements et

- Au secours !

aux poubelles de la salle des fêtes de la commune et

j’appelle les pompiers (Iroquois[4]) et les maîtres-nageurs à la rescousse (qui s’amènent en courant avec une pelle de plage jaune et

un petit seau de sable bleu et

une grande serviette de bain verte et

un extincteur à main rouge et)

qui étouffent les flammes et m’emballent dans une couverture de troufion (la chemise et le pantalon brûlés, les bottines calcinées) et me conduisent aux urgences psychiatriques de l’hôpital général de Kinshasa

Ou du CHU de Tokoin.

A peine sorti de l’hôpital, descendant la rue de l’Hôtel des Monnaies en direction du bar de l’Union, je me laisse en-

- On a brûlé ses vieux vêtements ? On a mis des habits neufs et de nouvelles chaussures pour aller au temple ?

traîner par deux pro-

- Poignantes !

stituées dans leur cabinet de travail de

- Sordide !

la rue de la Victoire. Mais, après avoir éructé un triste mollard de sperme rance dans un mouchoir en papier de toilette parfumé, je refuse de payer le prix que

- Exorbitant !

ces activistes me réclament. Je bous-

cule celle qui me menace avec un couteau (tandis que l’autre té-

léphone à la police ou à son chevalier blanc). Et je dé-

vale en courant les marches de l’escalier et m’en-

- Sans mes chaussettes et sans mon caleçon !

fuis sans honte et sans remords et cours me ré-

- Oubliés en dessous du canapé !

fugier à l’Union[5], chez Fabrice et Hakim (au service) et Bart (au management) et Aziz (à la cuisine).

- Demain, j’arrête de band


[1] Qui le prête ou le donne en location à tout venant (un ancien militaire, aujourd’hui retraité et reconverti dans la vigilance citoyenne) (un ange simplement domestique) (Olim Kordic), sous un prétexte généralement quelconque (descendre voir ce qui se passe dans le hall d’entrée) (acheter deux packs de canettes de Jupiler, trois paquets de Camel et quelques bouteilles de sangria dans un night-shop des environs de la gare du Nord) (participer un combat de bêtes fauves au parc Roi Baudouin à Jette).

[2] On se connaissait depuis l’école. On avait des projets. On allait construire.

[3] … émettre des signaux de détresse et… arrêter sa voiture sur la bande des pneus crevés et…

[4] - Iroquois ?

- Pourquoi pas ?

[5] des serveuses nues ne dansent pas sur les tables.